Interview de Constant Seba
Connu par sa fidélité à notre Société, mais aussi par sa gentillesse, par sa générosité et par la qualité de sa production vinicole, Monsieur Constant Seba est l’un des plus anciens membres de notre confrérie. Le 30 juillet 2002, en visite au « Clos Saint Hilaire », j’ai eu le plaisir d’interviewer le maître des lieux. Je vous relate ce moment précieux où notre ami Constant révèle son savoir-faire.
Monsieur Seba, vous êtes connu sur la place de Huy pour être un des premiers à avoir replanté la vigne, remémorez-nous cette aventure.
Je suis issu d’une famille d’horticulteurs et il faut remonter à 1976 lorsque Charles Legot m’a demandé de multiplier des bois de Spätburgunder en faisant des boutures d’oeil. Pour cela il faut de la chaleur, et à l’époque je chauffais les serres pour la production florale. Monsieur Legot, architecte hutois bien connu est le premier à avoir remis la vigne à l’honneur dans notre région en recréant un vignoble dans les années soixante. Comme il m’autorisait à en multiplier pour mon propre compte, je me suis lancé dans l’aventure sans me faire prier, et peu de temps après je plantais mes trois premières lignes. Ensuite Charles Henry, vigneron à Seraing et président des Cordeliers de Saint Vincent, m’a procuré du Triomphe d’Alsace et du Léon Millot. C’était encore l’époque des balbutiements où quelques téméraires s’échangeaient des bois et faisaient souvent du vinaigre. On en fait encore d’ailleurs, mais que de progrès à force de recherches et de persévérance ! Maintenant la qualité est au rendez-vous. En 1991, j’ai arraché ce qui ne me donnait pas satisfaction pour replanter 3 lignes de raisins blancs d’origine inconnue, 3 lignes de Pinot gris et 2 lignes de Rivaner. En résumé, je peux dire que Charles Legot et moi sommes les premiers à avoir replanté, mais il y avait déjà de la vigne chez Mathieu et Martelier Raymond Godin est venu plus tard Bref, en région hutoise, le démarrage a vraiment eu lieu grâce à « L’Eté du Vignoble mosan » en 1992. Aujourd’hui, la Société Royale Horticole et Vinicole de Huy regroupe une quarantaine de vignerons amateurs.
En quelques mots, brossez-nous l’historique de votre famille.
Il faut remonter assez loin dans le temps puisque la famille a acheté la maison en 1617. C’était déjà des maraîchers-pépiniéristes. A cette époque la propriété était bien plus grande. Elle s’étendait d’un côté jusqu’aux remparts qui entouraient la ville, et de l’autre, elle se prolongeait dans la campagne. Sa superficie s’est réduite au fil du temps et des successions. Mon grand-père avait onze fils et une fille, et comme il fallait faire une part à chacun … La propriété s’est encore morcelée. Bien sûr on y cultivait déjà la vigne ! C’est d’ailleurs mon père qui, en 1920, a revendu le vignoble qui se situait ici derrière, sur la butte. Aujourd’hui mon fils Jean-Marie a racheté une trentaine d’ares de ce terrain pour y planter de nouveaux ceps. Il y cultive les mêmes cépages que moi dans une exposition idéale. Nous aurons l’occasion de le visiter en septembre prochain.
Quelles sont les caractéristiques de plantation et les variétés que vous cultivez ?
D’abord, il faut savoir que la partie avant du terrain est consacrée aux cultures horticoles, et c’est donc dans la partie arrière, là où le sol commence à s’élever que le vignoble est établi. La pente fait 15 à 20 %. Il totalise quelques 400 pieds disposés en alignements de 30 m avec 1 m 30 entre les lignes et 1 m 10 entre les pieds. Exposées plein sud, les vignes bénéficient d’un ensoleillement maximal. Je cultive principalement le Pinot noir, le Pinot gris, le Müller-Thurgau, le Sieger, le Précoce de Looz, le Seibel et un peu de Madeleine royale. Pour être complet, je dois aussi signaler quelques ceps de Madeleine angevine et de Chasselas de Fontainebleau.
Quelle est la nature de votre sol et pour quel porte-greffe avez-vous opté ?
La plupart sont francs de pied. La terre arable est noire, légère et le sous-sol est composé de cailloux et de graviers dans la partie inférieure du vignoble. Plus haut, je ne sais pas enfoncer un fer de bêche, c’est directement la roche calcaire, notamment à droite. Cela demande certaines précautions pour que les pluies n’entraînent pas la terre et ne dénudent pas le rocher.
Quels vins faites-vous ? Rouge, blanc, rosé les trois ?
Je vinifie presqu’exclusivement en blanc, et toujours avec fermentation malo-lactique. J’ai fait du rouge au départ de Triomphe d’Alsace et de Léon Millot, mais j’ai abandonné car les résultats ne me donnaient pas satisfaction. J’ai arraché ces variétés, car elles donnaient toujours au vin un goût que je n’aime pas. En 1993 j’avais obtenu plus de 100 litres qui titraient 16° d’alcool. Mon dernier rouge remonte à 1994, j’avais à peine 15 litres. En plus du millerandage les trois-quarts des grappes étaient vertes. Je vous le ferai goûter tout à l’heure car il m’en reste quelques bouteilles !
Au niveau du choix des cépages, quel conseil donneriez-vous à un débutant ?
Celui de ne pas suivre le conseil de ceux qui vous disent « Plante ceci ! » ou « Plante cela ! » et de ne planter que le cépage dont on a goûté le vin. Je ne suis pas partisan de planter un peu de tout pour ensuite faire une sélection, car on perd automatiquement cinq ans. Et souvent on entretient le regret d’avoir arraché trop tôt l’un ou l’autre cépage. Il faut néanmoins garder en mémoire que ce qui va chez l’un ne donne pas automatiquement satisfaction chez l’autre. Cela peut se révéler très différent ! C’est le cas des Pinots gris de Jean-Marie et des miens. Ils sont les mêmes, mais s’ils donnent des grappes splendides chez moi, elles sont toutes petites chez lui. A quelques mètres de distance ! Et puis intervient aussi la vinification, la variété des récipients, bref plusieurs facteurs. Sans parler de la sélection ! Ainsi, j’ai acheté mes Pinots gris greffés chez Joseph Pauly à Remich, et j’en suis très content. Puis, je les ai reproduits francs de pied en sélectionnant ceux qui me semblaient les mieux adaptés. Eh bien, aujourd’hui, ce sont ces boutures qui me satisfont le plus ! Le même cas se présente avec des Pinots noirs achetés par Jean-Marie et toujours en provenance de chez Pauly. En cas de boutures, la sélection massale est très importante !
Comment procédez-vous pour bouturer ?
Je bouture en décembre. Comme je viens de le dire, je sélectionne les pieds. Sur le rameau, j’élimine les deux premiers yeux pour ne prélever qu’à partir du premier oeil à fruit. C’est souvent le troisième. La bouture se résume généralement aux quatre ou cinq yeux suivants. Ensuite les baguettes sont stratifiées dans la serre pendant l’hiver. Je les enterre horizontalement dans de la tourbe, du terreau ou du compost en les recouvrant bien. Je préfère la tourbe au compost car elle n’a pas subi de fermentation. On recommande aussi le gravier du Rhin ! Au printemps je les sors pour les placer en couche en veillant à protéger du gel certains yeux qui sont déjà bien gonflés. Et c’est l’année suivante que je les mets en place. Cette façon de procéder permet de ne pas recourir au chauffage comme le font les professionnels !
Quelle taille conseillez- vous à un débutant qui entreprend un vignoble ?
La conduite palissée en taille Guyot. Au départ la taille Guyot simple évidemment puisque les pieds sont jeunes. Il faut tenir compte de la croissance du pied, et réguler sa production en fonction de ses capacités. S’il est fort, il sera capable d’alimenter plus de feuilles que s’il est chétif. C’est une question d’enracinement !
Comment taillez-vous et quelles sont les grandes lignes de votre travail ?
Je conduis la vigne palissée en Guyot simple, voire en Guyot double selon ce que je veux produire et l’âge du pied. Je taille en décembre en laissant un ou deux sarments en plus, ce qui fait trois ou quatre baguettes. Il faut prévoir cette réserve, car un rameau peut casser lors de l’arcure. Ainsi, fin mars ou début avril, je n’ai plus qu’à courber la charpentière, à tailler le courson et à supprimer l’excédent. Le fil inférieur, celui sur lequel j’attache, est à hauteur du genou soit une soixantaine de centimètres du sol. Le bois de l’année suivante est rabattu à trois yeux pour qu’il porte. Je tiens compte du premier oeil qui ne donne jamais de fruits. En principe, j’essaie de suivre le développement de la végétation et au fil de la croissance je supprime les rameaux non fructifères, ainsi que les pousses inutiles. Dès le départ, j’interviens pour ne pas avoir besoin de faire une taille limitative, appelée taille en vert, qui élimine les grappes excédentaires et concentre la qualité. Les bois ne sont pas attachés mais maintenus, comme en France, à l’aide de deux fils mobiles que je relève progressivement. Je laisse environ quatre à huit feuilles après la deuxième grappe et je rogne au sécateur au-dessus du dernier fil. On dit toujours de ne rien faire au vignoble durant la floraison, mais si vous allez dans le Sud de la France vous constaterez qu’ils rognent à la floraison. Pour, paraît-il, provoquer un « choc » bénéfique à la fructification En agissant ainsi, je n’ai jamais eu de problèmes et de plus l’entretien est facilité. Je surveille bien les vrilles aussi, pour qu’elles ne s’accrochent pas aux filets anti-oiseaux qui sont assez bas !
Parlez-nous de vos pulvérisations.
Après la taille je pulvérise du Captane. A l’apparition de la première grappe, vers la quatrième ou cinquième feuille, commencent vraiment les traitements préventifs. La première pulvérisation est faite au Thiovit (soufre) et au Dithane (mancozèbe), mais à demi dose car les tissus sont fragiles et un soleil trop fort les brûlerait. Je n’emploie jamais de fongicide cuprique avant la fleur mais bien un fongicide organique. Le cuivre n’est utilisé qu’après la fleur. Le soufre peut s’employer toute la saison car il contribue aussi à lutter contre l’araignée rouge qui, entre parenthèses, n’est pas rouge mais grise et ne se voit pas à l’oeil nu ! Je ne pulvérise pas d’insecticides. Encore que j’ai été obligé de le faire contre le ver de la grappe voici deux ans. Je vous donnerai un plan de pulvérisations. J’achète mes produits phyto chez Pirlot, un marchand de gros pour agriculteurs installé dans le zoning industriel de Waremme. Nous sommes plusieurs viticulteurs de la région hutoise à nous fournir chez lui, et je dois dire que maintenant il dispose d’une gamme intéressante de produits pour la vigne à prix attractifs. Mais le mieux est de se grouper pour acheter car les quantités minimales sont importantes et la facture aussi …
Quels engrais épandez-vous ?
Tous les trois ans, au mois de décembre et au plus tard en janvier afin que le chlore s’évacue, je mets pour cinq ares de vignes environ 50 kg de cyanamide et 75 kg de scories potassiques. Cela percole très lentement ! Dans l’intervalle, il m’arrive parfois d’épandre du Patenkali ou de l’engrais composé. Mais au départ, je plante toujours sur fumier en pralinant les pieds avec de la bouse de vache.
Le cyanamide ne brûle-t-il pas les adventices ?
Oui, il tue les mauvaises herbes, les nématodes, etc. Il est multifonctionnel. Par exemple dans une pelouse il détruit les mousses, dans une pâture il désinfecte contre le piétin. Gare à ne pas dépasser 400 kg/hectare pour ne pas brûler l’herbage. Il faut donc savoir l’épandre bien régulièrement.
Abordons les vendanges et la vinification, vous travaillez seul ?
En général nous travaillons à trois. Les premières vendanges se font vers la mi-septembre avec le Sieger, la Madeleine Angevine et le Précoce de Looz. Le raisin est cueilli, égrappé entièrement et foulé. Je ne fais pas de macération pelliculaire. J’assemble régulièrement ces trois cépages. Je crois d’ailleurs que les deux premiers sont parents. (ndlr : Sieger = Madeleine Angevine x Gewurztraminer). Le réfractomètre donne une idée approximative de la maturité, mais on sait bien que c’est le pressurage qui permet l’analyse précise et les corrections. Je sulfite dans le moût directement ; la quantité varie en fonction de l’état sanitaire. D’habitude je mets 15 g de métabisulfite de potassium / hecto mais cette année j’en ai mis 20 par exemple ! Je ne cache pas que je chaptalise toujours le moût pour avoir 12° potentiel, sachant que fini, il titrera moins. Et je le fais toujours en deux fois. J’essaie aussi d’obtenir dans le vin fini, une acidité entre 6 et 6,5 g/l exprimé en tartrique, mais il m’arrive parfois de devoir ré-acidifier car le Sieger présente souvent un déficit d’acidité. Je rectifie alors en ajoutant de l’acide tartrique.
J’insiste sur l’hygiène à apporter lors des manipulations et sur la propreté des récipients. Ils sont lavés à l’eau bouillante, désinfectés au sel de soude et toujours rincés à l’eau chaude avec une pincée de métabisulfite. Le moût est amené dans un chai situé au rez-de-chaussée qui est relié à la cave de vieillissement par une tuyauterie. Le moût est ensemencé dans des cuves inox à chapeau flottant et la fermentation alcoolique dure entre 8 et 12 jours. A propos des chapeaux flottants, il faut veiller à ne pas les souiller par débordements lors de la fermentation tumultueuse, sinon gare aux conséquences ! Je laisse toujours se poursuivre la fermentation malolactique, mais je m’empresse de dire que je ne la maîtrise pas. Elle vient spontanément, sans ajouter de ferments lactiques. Sa durée varie selon l’année et les conditions ; parfois elle s’effectue dans la cave de vieillissement. Cette année, elle a traîné trois mois avant que le barboteur ne soit stabilisé. La fermentation alcoolique est toujours suivie d’une filtration, puis le vin est descendu dans la cave à l’aide d’une pompe. Il faut être deux car l’opération réclame une surveillance au départ et à l’arrivée. C’est une cave à l’ancienne, comme dans beaucoup de vielles maisons. Dallée de pierres bleues, elle est voûtée et présente des températures idéales pour la conservation des vins. Bien orientée, il y règne 8 à 9°C l’hiver et 12°C l’été. Le vin y séjourne en touries et je le mets en bouteilles selon son vieillissement et mes besoins.
Vous travaillez en cuves fermées, donc vous n’aérez pas le vin ?
Non, la seule aération se fait lors des soutirages.
Pour terminer, voulez-vous préciser votre emploi du sulfite ?
Comme déjà dit, je sulfite directement dans le moût, en général 15 g / hecto. J’emploie toujours du sulfite en poudre, que je dissous dans une petite quantité de vin avant de l’introduire dans le récipient. Jamais de pastilles de sulfite car je trouve qu’elles ne se dissolvent pas bien. Je parle en métabisulfite, ce qui revient à dire que les doses que j’introduis ne laissent dans le vin qu’environ la moitié de leur quantité en SO2. Au premier soutirage, j’ajoute 8 g / hecto, puis encore 8 g/ hecto au deuxième soutirage. A la filtration, le vin passe en tourie et je mets encore 12 g / hecto. Soit un total de 48 g / hecto dont il ne restera que la moitié.
Pour le lecteur, ici se termine l’interview de Monsieur Seba. Pour l’équipe de reporters, le plus « éprouvant » reste à faire : se montrer digne de la générosité de notre ami Constant et apprécier la qualité de sa production vinicole. Une obligation à accomplir pour notre plus grand plaisir !
Robert Coune